Serre Chevalier Snow Trail by Steph O. |
Mue par une impulsion matinale de prendre congé du bruit et de la fureur de la grande ville, ne serait-ce que pour quelques heures, je saisis au vol la proposition de Yana et m’inscris au Snow Trail de Serre Chevalier. A postériori je fais le compte de toutes les bonnes raisons de ne pas faire un truc pareil.
D’abord mon extrême frilosité : j’ai vécu deux ans à Conakry pour vivre légère, court vêtue et sans chaussettes, je sais que je ne suis pas conçue pour me geler le cul dans un décor du genre de celui que Kubrick a imaginé pour tourner Shining.
Et puis je ne suis jamais allée aux sports d’hiver…. Oui j’ai 49 ans et je n’ai jamais skié (je n’ai pas de rolex non plus mais j’ai lu l’intégrale de Montaigne et j’aimerais vivre dans un monde où ça ne compte pas pour du beurre !). Mon dernier contact avec la neige remonte à mes 12 ans, des descentes à toute barzingue à trois sur la même luge (je ne me plains pas les copains de quartier s’efforçaient d’en faire autant sur des sacs poubelle).
Et puis je ne suis pas équipée !
Et puis qui va garder mon poilu ?
Je n’ai pas le temps de dérouler mes arguments à deux balles : la douce Solie propose de prendre soin de Mitsu, Maniou (dit le prèz) me prête ses Yaktrax, Yana a déjà réservé un hébergement douillet, Philippe et Caro sont là : en route !
Conversations animées et joyeuses - Saint-Pétersbourg – Moscou- les Indiens d’Amérique – les Açores - de l’importance de la lecture et des moyens d’en donner le goût aux ados - la Diag- etc.
Retrait des dossards– raclette - dodo
Nuit sans sommeil- Petit déjeuner
Habillage : collant chaud, tee-shirt à manches longues, sweat à capuche, coupe- vent, 2 paires de gants, bonnet.
Caro a raison, j’ai vraiment l’air d’embarquer pour le Jihad !
Sur le départ ma carcasse de 52 kilos refroidit progressivement et rigoureusement. L’air glacé dissipe la pesanteur de la fatigue. Sur le conseil de Caro, je frotte mes mains, notre petit groupe forme un cercle resserré. Mikele apparait, souriant, les yeux encore un peu ensommeillés, il immortalise le départ.
La musique qui accompagne le compte à rebours est flippante, elle me donne une crampe à l’estomac, elle présage une aventure de la fin des temps dont je ne reviendrai jamais. Elle annonce que je vais devoir lutter contre un ours, j’en ressortirai vivante parce que les animaux m’aiment bien et que je sais murmurer à leurs oreilles mais je finirai bouffer par un groupe de coureurs égarés et à bout de force ( je ne sais pas murmurer à l’oreille des hommes ), je n’écrirai jamais le roman qui sera mon chef-d’œuvre, je n’obtiendrai jamais le prix Goncourt et mon livre ne sera jamais adapté au cinéma par Jacques Audiard, le 1er rôle ne sera ainsi jamais interprété par Roschdy Zem et du coup nous n’ aurons jamais une liaison intense et durable ( lui « Chérie tu m’accompagnes à la Cérémonie des César ? » moi « Mais mon cœur tu sais bien que je vais à la reco interne de la Galinette.. ) et ….ah merde on est partis !
Je laisse donc Roschdy et remonte la file de coureurs, je parviens à rejoindre Philippe mais pour un temps seulement car il s’échappe. Les plaques de verglas se succèdent. Sur l’une d’entre elles, je glisse, je m’affale. « Ce n’est PAS roulant, c’est GLISSAaaNT ! » dis-je à un Philippe imaginaire pendant que le vrai cavale joyeusement avec Karl, un grand suédois sympathique à qui je n'ai rien à reprocher excepté le fait qu’il a 25 ans et non le double mais personne n’est parfait et de toute façon Roschy est un peu jaloux. Je ne parviens pas à me remettre sur mes deux pattes arrière. Un coureur passe, un 2ème, un 3ème, au 4ème – arrêt sur image – gros plan sur une main tendue et ouverte. Je prends. Il serre. Je suis debout.
Je progresse avec prudence. Le chemin large déroule ses lacets réguliers. Je m’arrête pour enfiler les yaktrax. Arrivée au carrefour entre les deux parcours, je me rends compte que le gauche est de traviole et Impossible à remettre, le bénévole ne fait pas mieux, il bricole une vrille.
Je décide de prendre le 10 et d’y aller comme on fait l’école buissonnière.
Une couverture s’étale, étincelante sous l’éclat du soleil ; j’entends le craquement de la neige sous mes pas et la parole silencieuse des montagnes tout autour. Je ne sais, ni où je ne suis, ni l’heure qu’il est. Je me suis séparée de strava en assez bons termes il y a 3 ou 4 ans et je cours sans montre. La plupart du temps j’omettais de presser le bouton start, l’autre était consacré à oublié de l’arrêter.
Je suis la trace des autres coureurs mais sans marcher dans leurs empreintes. Je marche à côté, c’est CONtreproductif car je perds l’équilibre, je perds du temps (« Le plaisir de perdre » sera le titre de mon 1er roman, celui qui obtiendra le Goncourt et provoquera le début de mon idylle avec Roschdy).
J’amorce une descente verglacée. En bas un coureur est couché au sol. C’est grave, un autre a déjà appelé les secours. Pensées pour mes compagnons d’aventure « Yana, Caro, Philippe si vous m’entendez, soyez prudents j’ai prévu un happy end en mode tartiflette ! » Pour moi lentilles car comme Einstein et Gandhi je ne mange plus d’animaux (depuis 31 ans)… Oui aussi comme Pamela Anderson mais les blondes à forte poitrine ne sont pas admises dans ce récit donc Pamela : tu dégages !
Je dépasse quelques coureuses craintives, ça me permet de mesurer les progrès modestes mais réels que j’ai fait en descente. J’emboite le pas d’une traileuse du coin. On papote. Originaire de Savoie, elle est installée ici comme ostéopathe, ici c’est son parcours d’entrainement. Elle connait mais elle est fatiguée. Elle glisse et tombe. Je passe devant, je lui dis de s’accrocher, de penser à son fils.
Je suis bien, pas fatiguée, je déroule, passe l’arche, le speaker annonce STéphaniiiiie du Marseille Trail Club, une deuxième voix me félicite, je tourne la tête c’est Lionel. Ma compagne de fin de parcours arrive, elle me remercie et me présente son petit garçon.
Plus tard Philippe et Karl débarquent.
Le speaker informe les participants des prochaines courses : TSB en mars ! What the fuck&+ »* - Arrêt sur bande son – dans son collant noir et jaune fluo Philippe se dirige déterminé vers le speaker et lui tire une bastos en pleine tronche…. Ah non en fait il lui parle juste quelques secondes – le speaker se reprend pour annoncer l’évènement interplanétaire le plus important de l’année :
Le traaaaail de la Galinette !
L’annonce est réitérée à l’arrivée de Caro puis de Yana.
Chacun ayant vécu son aventure intérieure, nous reformons un comité joyeux et soudé d’ambassadeurs du MTC (Marseille Trail Club quand tu t’inscris si tu ne veux pas que Titi en personne te découpe une oreille façon Mickael Madsen dans Reservoir Dogs).
bière – repas – douche et retour à Massilia.
Voilà, je sais c’est un CR où il n’est question ni de dénivelé, ni de km, ni de classement et aucun exploit n’a été accompli. J’espère que tu n’es pas trop déçu (e). Je voulais juste te parler d’une expérience en apparence anodine devenue exceptionnelle parce que j’étais au bon endroit, au bon moment avec les bonnes personnes. Ce n’est pas si roulant courant….